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Transfert ou reprise d'entreprise: un cheminement intense

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Le transfert d’une entreprise est un processus long, compliqué et, surtout, intense. C’est certes une transaction commerciale, mais avant tout émotive. Elle demande une préparation minutieuse, tant chez le cédant que pour le repreneur.

Le transfert d’entreprise prend beaucoup d’importance depuis quelques années. L’implacable réalité démographique québécoise fait en sorte que la génération des baby-boomers, qui a massivement créé le tissu industriel québécois actuel, prend progressivement sa retraite. D’ici 10 ans, on estime que 70% des entreprises québécoises vont changer de mains, soit environ 100 000 PME.

Malheureusement, le nombre de futurs retraités excède celui des repreneurs. Il y a deux ans, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) estimait que 30% des propriétaires de PME allaient fermer leur entreprise d’ici 2024, sans essayer de la vendre. Quelle perte pour la collectivité! De plus, poursuit la CCMM, entre 5 et 10 000 entreprises pourraient disparaître d’ici là, ce qui menacerait entre 79 000 et 139 000 emplois.

Le problème est accentué par deux phénomènes : les enfants du fondateur n’ont souvent ni la volonté ni les moyens de reprendre l’entreprise, et les cédants n’affichent pas publiquement qu’ils sont à vendre.

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Il y a pourtant de fabuleuses opportunités pour qui veut se lancer en affaires. D’autant plus qu’une entreprise établie est plus solide qu’une autre en démarrage. Elle a déjà clients, réputation, expertise et liquidités. Et la majorité a un potentiel de croissance.

Complications

La plupart des transferts impliquent encore le passage à une autre génération. On voit également un ou deux enfants du fondateur acheter en partenariat avec un cadre ou un employé clé. Ou carrément la direction, qui n’est pas liée à la famille, prend la relève. Enfin, l’acheteur peut venir de l’extérieur, s’il a l’expertise ou la volonté.

Les experts identifient habituellement plusieurs obstacles au transfert de l’entreprise : une bonne part vient du cédant. Il demande trop cher, il n’a pas planifié la transaction, il a mal entraîné sa relève, ne reconnaît pas les aptitudes des repreneurs (surtout s’ils sont ses enfants), rejette leurs changements, ne veut tout simplement pas partir…

Beaucoup d’entrepreneurs baby-boomers ont centré leur vie autour de leur entreprise. C’est leur principale création, leur bébé, une bonne part de leur identité. L’essentiel de leur réseau social gravite autour de ce projet exigeant, qui dure depuis 20, 30 ou 40 ans. Ils craignent de partir, de s’isoler, de tomber dans le néant, de perdre du prestige social. Pourtant, la retraite, que vous soyez salarié ou entrepreneur, ça se prépare. Un cédant a tout intérêt à échanger avec un mentor pour passer au travers de cette étape cruciale, tant pour lui que pour l’entreprise.

Un processus

Passer le flambeau est hautement émotif et symbolique. Éventuellement, le cédant vivra une phase de « lâcher-prise », mettant ses sentiments de côté, pour se concentrer sur les aspects techniques, juridiques et financiers de la transaction.

D’autant plus que si les repreneurs sont ses enfants, les relations avec ces derniers peuvent se compliquer singulièrement. Certains cédants ont même confié publiquement qu’ils auraient eu moins de difficulté à vendre à un étranger qu’à leur progéniture. C’est un sentiment vieux comme le monde : les parents ont de la difficulté à voir leurs enfants comme de véritables adultes, qui ont mûri et qui sont forts de leurs propres expériences. Et certains enfants devenus adultes voient encore leurs parents comme des pourvoyeurs.

D’autres cédants expriment exactement le contraire : ils regrettent de transférer à des étrangers ce qu’ils considèrent comme le patrimoine familial.

Longue transaction

Avant même de parler de transfert d’entreprise, le cédant devra effectuer un travail sur lui-même. Il devra impliquer son conjoint et, surtout, planifier psychologiquement sa retraite comme s’il lançait une nouvelle entreprise : quels seront ses besoins financiers et quels seront projets spéciaux ou philanthropiques?

Une fois cette étape sensible franchie, le cédant devrait élargir sa réflexion à son cercle restreint de personnes de confiance : amis, associés, conseil consultatif, conseil d’administration… C’est ici qu’il devra solliciter l’aide d’un mentor. Ce dernier pourra l’accompagner tout au long des étapes clés du processus de planification et de vente. Un mentor travaillera avant tout sur les craintes, les angoisses, les interrogations et les inévitables conflits (conjoint, proches, enfants, cadres, personnel clé, parties prenantes…). Il permet au cédant de prendre du recul et d’envisager certaines problématiques sous un angle différent, rafraîchissant, plus créatif, moins anxiogène.

Il devra ensuite gérer la vente éventuelle de son entreprise comme un projet d’affaires : établir une valeur à l’entreprise, des scénarios de financement pour le repreneur, des conditions de vente, fixer une date de vente et un plan de transfert progressif des responsabilités. Il devra jauger diverses options fiscales, financières et stratégiques, pour faciliter la vente, la transition et la survie de l’entreprise. Car cette transaction doit à la fois satisfaire le cédant, pour qui l’entreprise représente souvent l’essentiel de son patrimoine financier, mais aussi le repreneur, qui alourdit son bilan et affecte ses liquidités, sans que cette dette ne soit consacrée à la croissance.

Le cédant doit ensuite identifier un repreneur potentiel au sein de sa famille, sa direction, à l’externe. Ses critères doivent être basés sur le talent, l’expérience et la volonté de faire passer l’entreprise à une autre étape.

Une fois que ce repreneur aura confirmé son intérêt, le cédant devra alors impliquer plusieurs experts, afin de valider la valeur de l’entreprise, le montage financier et fiscal, et établir un plan de transition.

Un cédant doit souvent s’impliquer dans le financement du repreneur. On a vu de nombreuses transactions se compliquer parce que celui-ci est incapable de ficeler son montage financier pour toutes sortes de raisons (valeur élevée de l’entreprise, considérations fiscales, capacité financière ou garanties personnelles limitées, achalandage difficile à évaluer, etc.). Ailleurs, ce sont les délais qui compliquent les choses. Dans le cas d’une reprise par une coopérative de travailleurs actionnaires, par exemple, il faudra organiser à la fois un montage financier et la formation des travailleurs à leur futur rôle. De nombreuses études concluent toutefois que les coopératives repreneuses sont souvent plus pérennes que celles à capital-actions. Mais les employés doivent être motivés et déterminés à reprendre le flambeau.

Cédants et repreneurs auraient intérêt à contacter des organismes comme le Centre de transferts d’entreprises du Québec (CTEQ), le Fonds de transfert d’entreprises du Québec (FTEQ), la Coopérative de développement régional du Québec (CDRQ) et Investissement Québec (reprise d’entreprise et entrepreneuriat collectif).

Céder la place

Le cédant devra ensuite entraîner le ou les repreneurs à leurs futures fonctions. D’autant plus qu’un transfert d’entreprise réussi s’échelonne sur plusieurs années, facilement une décennie. Les banquiers seront rassurés si le fondateur détient une balance de vente et est toujours actif au sein de l’entreprise, même s’il n’est plus le grand patron. Fournisseurs, clients et employés ne seront pas inquiétés s’ils voient que cédant et repreneur sont engagés dans une démarche sérieuse et réfléchie.

Le cédant devra alors apprendre à transformer son rôle, devenir un guide pour le repreneur, mais pas un mentor, car il est trop impliqué financièrement et émotionnellement. Ce qui n’est pas facile pour chacun. Quand on est assis sur le siège du passager, on a tendance à indiquer au conducteur le bon chemin, selon nous. Mais il aura peut-être un autre itinéraire, plus efficace à ses yeux…

Le cédant doit donc progressivement transférer des responsabilités au repreneur. Cette étape peut s’effectuer de manière intuitive, mais il serait préférable d’y aller selon un plan avec échéances précises.

C’est une période clé, où le cédant doit apprendre à avoir confiance au repreneur. Ce dernier voudra peut-être rapidement imprimer sa marque, faire des changements stratégiques, opérationnels, au sein du personnel. Cédant et repreneur doivent établir une complicité; le premier doit faire sienne la nouvelle stratégie, le second doit apprendre du premier pour adapter l’organisation à la nouvelle réalité. Le cédant doit aussi être disponible pour épauler le repreneur et répondre à ses questions. Il doit accepter que sa relève fasse des erreurs.

Mentorat pour repreneur

C’est pourquoi le repreneur aura intérêt à se lancer dans une démarche mentorale, car nous sommes ici dans une opération fortement gouvernée par les émotions. Cédant et repreneur doivent se jauger, évaluer leurs forces et faiblesses, apprendre à communiquer en ayant toujours à cœur l’avenir de l’entreprise. Le repreneur est souvent pressé, enthousiaste, visionnaire, énergique. Ces qualités peuvent être perçues comme des menaces ou un manque d’expérience par le cédant.

Un mentor va travailler sur les aspects humains de la transaction, tant pour le cédant que pour le personnel de l’entreprise. Une telle transaction crée de l’insécurité. Le repreneur doit se faire rassurant et pédagogue s’il veut susciter l’adhésion autour de lui et de sa stratégie.

Il est d’ailleurs préférable que cédant et repreneur aient chacun leur mentor, pour éviter de placer ce dernier en conflit d’intérêt ou de loyautés. Chaque mentor travaillera sur les attitudes de leurs mentorés respectifs, les incitera à réfléchir sur leurs gestes, leurs certitudes, leur attitude comparée aux meilleures pratiques, aux situations jugées idéales, à l’importance des émotions contradictoires qui jalonnent un tel processus.

Au final, une transaction réussie devrait, bien avant les considérations financières, nourrir la fierté tant du cédant que du repreneur.

 

Une collaboration de Stéphane Desjardins.

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