Il faut se préparer pour être mentor
Une longue expérience et de nombreux succès ou échecs dans le milieu des affaires suffisent-ils à préparer une personne à devenir mentor? Oui et non. L’encadrement est donc essentiel.
Les chercheurs s’intéressent de plus en plus au phénomène du mentorat pour entrepreneurs. Certains de leurs travaux révèlent que la relation mentorale est souvent teintée de préjugés, qui sont parfois contre-productifs. Normal : une dyade est une relation qui est tout, sauf objective. Rappelons que le mentorat est un mot qui, dans la culture grecque antique, signifie une relation entre une personne d’expérience, en position d’autorité, qui « accompagne » de manière bienveillante une personne plus jeune, en lui prodiguant conseils et soutien.
Au Québec, le mentorat pour entrepreneurs est avant tout basé sur le savoir-être : un entrepreneur d’expérience, le mentor, « travaille » surtout autour des capacités d’un entrepreneur novice, le mentoré, pour que celui-ci puisse surmonter ses difficultés personnelles (préjugés, insécurités, isolement, manque de formation, de préparation ou de contacts), afin qu’il connaisse le succès en affaires. En fin de compte, tant le mentoré que son entreprise en bénéficie. Bref : le mentorat pour entrepreneurs est basé sur le relationnel.
Et ça marche : les études menées ici confirment que les jeunes entreprises dirigées par une personne mentorée survivent davantage à leurs premières cinq années d’activité que celles qui ne le sont pas. Mais peut-on faire mieux?
Les professeurs W. Brad Johnson et David G. Smith, de Harvard, proposent une notion de psychologie cognitico comportementale, le « modèle de Michelangelo » (qui s’applique aussi à la relation de couple). Leur vision du mentorat est basée sur celle qu’entretenait Michel-Ange, le célèbre artiste de la Renaissance italienne, qui « voyait » l’œuvre d’art avant même d’avoir commencé à sculpter le marbre. Selon eux, un mentor doit faire preuve d’humilité et fuir ses préjugés pour se mettre à l’écoute de son mentoré.
Les chercheurs concluent toutefois que les mentors ont tendance à modeler leurs mentorés à leur image, et à privilégier les modes de solutions qu’ils ont eux-mêmes appliqués au cours de leur carrière. Pire : les mentors masculins ont plus de difficultés à s’extraire de ce mauvais comportement si la mentorée est une femme. Les chercheurs considèrent que ces comportements sont liés aux rôles traditionnels des hommes, davantage orientés vers les résultats, et des femmes, qui penchent vers le relationnel.
Pas d’accord
Cette vision a suscité une levée de boucliers dans les milieux québécois du mentorat pour entrepreneurs. On allègue que la société québécoise est plus égalitaire qu’ailleurs en Amérique du Nord. Cet égalitarisme se reflète dans les relations entre femmes et hommes, davantage basée sur le respect et la reconnaissance des compétences. Cela facilite d’ailleurs les relations au sein de dyades mixtes. De plus, la société québécoise valorise l’humilité chez ses élites et sa structure sociale est beaucoup moins hiérarchisée qu’aux États-Unis ou en Europe. Évidemment, personne n’est à l’abri de ses propres préjugés…
D’autant plus que les mentors sont des êtres humains avant toute chose. Le danger est bien réel qu’ils appliquent une « recette » basée sur leurs expériences personnelles, alors qu’ils multiplient les dyades. Avant de proposer quoi que ce soit à son mentoré, un mentor doit avant tout écouter. Or, l’écoute est un art. On n’a qu’à fréquenter les réunions du Réseau Mentorat et surveiller les discussions de mentors. Certains témoignent de leur découragement : « Tu as juste le goût de le brasser et de lui dire : ‘Ne vois-tu pas que la solution pend au bout de ton nez?’ Mais tu te dois de garder ton calme et de continuer à l’entendre se plaindre de ceci ou cela. » Un autre mentor d’ajouter : « Je l’écoute et je me dis que ce n’est pas possible qu’elle n’ait pas vu cet aspect du problème. C’est tellement évident! » Une autre renchérit : « Le mien navigue dans le déni. Je me retiens depuis longtemps pour ne pas lui dire ma façon de penser. » Et les trois d’éclater de rire en affirmant, plus sérieusement, que leurs mentorés sont adorables et qu’ils finiront par trouver d’eux-mêmes la solution à tous leurs problèmes!
Essentielle formation
Pour certains chercheurs, il est primordial que les mentors soient davantage encadrés pour que leurs relations mentorales soient productives. Sinon, elles peuvent même faire plus de tort que de bien, soutiennent notamment Étienne St-Jean, professeur à l’Institut de recherches sur les PME de l’UQTR, et Stéphanie Mitran-Méda, doctorante au Centre d’Études et de Recherches en Gestion d’Aix-Marseille, rattaché à l’Université d’Aix Marseille III.
Même s’ils affirment que la relation mentorale permet d’augmenter les connaissances du mentoré (un fait confirmé par la recherche), les chercheurs révèlent que les mentors reconnaissent qu’un programme formel de préparation à l’accompagnement améliore la relation au sein d’une dyade. Un tel encadrement minimise les tendances dirigistes de certains d’entre eux et diminue les frustrations chez nombre de mentorés, ajoutent-ils.
Au Québec, au sein du Réseau Mentorat, les mentors doivent se soumettre à un programme d’accréditation obligatoire. Celui-ci comporte plusieurs cours et outils pratiques.
Les mentors peuvent aussi se perfectionner, car le Réseau Mentorat offre des spécialisations en repreneuriat ainsi qu’en économie sociale.
Enfin, le Réseau Mentorat vient d’instaurer un programme de parrainage entre mentors novices et aguerris. En place dans la région métropolitaine de Montréal, il pourra être étendu à l’ensemble du Québec.
Une collaboration de Stéphane Desjardins.