Le plaisir de redonner
Retraités du monde des affaires, Antoine Najjar et Robert Lefebvre n’ont jamais été aussi actifs. Et ils adorent tout particulièrement partager leurs expériences d’entrepreneurs avec leurs mentorés.
Antoine Najjar a tout un parcours. La guerre civile libanaise le pousse à émigrer en Europe, puis à Montréal, avec sa seule valise comme point de départ.
«Je viens d’une famille d’entrepreneurs et mon père fut mon mentor, dit-il. Il m’a tout appris. Surtout de ne jamais avoir peur, de ne pas hésiter à foncer, à avoir le courage d’affronter les obstacles sans avoir de regrets, malgré les succès et les échecs. Quand on vient d’un pays en guerre, on connaît la signification du mot résilience.»
En 1987, à peine arrivé au Québec, Antoine Najjar se lance en affaires dans un bureau grand comme un garde-robe, avec pour seul outil son téléphone. Pas de mise de fonds. Aucune économie. Zéro crédit.
Lorsqu’il a vendu Jonatex Canada, spécialisée dans la literie haut de gamme, en 2012, il avait 30 employés, une équipe de ventes de sept personnes, 400 clients de Halifax à Vancouver ainsi que sur la côte est américaine. Simon’s, Linen Chest ou O’Gilvy étaient du lot. «Ce qui m’a sauvé : mes fournisseurs européens avaient accepté de me faire crédit, dit-il. C’est comme ça que j’ai commencé.»
Alors qu’il amorce le transfert de son entreprise à son fils, M. Najjjar se lance dans la franchise de boutiques Lin et Coton. Il en ouvre quatre à Montréal et prépare son arrivée à Toronto, en Europe et au Moyen-Orient. Mais le fils choisit plutôt une carrière de professeur. M. Najjar décide alors de vendre une entreprise très prospère. Mais pas question d’arrêter!
«J’avais une vaste expérience du monde des affaires, j’étais encore en santé, fier de mon parcours de vie : pas question d’écrire un livre ou de témoigner à l’émission de Denis Lévesque. Il fallait que je partage mes connaissances et mon expérience avec des jeunes, pour ne pas que ça se perde.»
Il se joint rapidement au Réseau Mentorat. Depuis neuf ans, il a accompagné une vingtaine de mentorés, dont deux cas de transferts d’entreprises.
«Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis fier de mes mentorés, dit-il. Toute mon expérience de vie, y compris celle de mon père, je l’ai transmise à des jeunes qui partagent les mêmes valeurs que moi. Des gens dynamiques, qui veulent faire bouger les choses et qui n’ont pas peur des obstacles qui se dressent sur leur chemin. Ce sont des valeurs importantes, exceptionnelles.»
Savoir écouter
Antoine Najjar confie qu’il a toujours été humble malgré ses succès. «Chacun de mes 30 employés m’ont appris quelque chose, dit-il. Je ne me suis jamais pété les bretelles en leur disant que j’étais le boss et qu’il fallait suivre ma recette. J’ai aussi beaucoup appris en écoutant mes clients.»
Cette qualité d’écoute lui sert beaucoup comme mentor. Car être mentor, c’est avant tout savoir écouter et susciter des questionnements.
«Je souhaite à n’importe quel entrepreneur de devenir mentor un jour, dit-il. C’est une façon de revivre nos moments de bonheur et d’angoisse passés. Le monde des affaires, c’est du sucré-salé et c’est toujours bon comme ça.»
Il ajoute qu’à côtoyer des jeunes, un mentor se tient à jour. Il glisse que quand il a commencé en affaires, le fax, les courriels ou l’internet n’existaient pas. Mais, grâce à ses mentorés, il est au fait des dernières technologies et techniques de gestion.
«Pas besoin d’avoir des mentorés du même domaine que soi, au contraire, ajoute-t-il. Ça nous permet d’en apprendre davantage sur différents domaines qu’on ne connaissait pas avant.»
Il ne s’en cache pas, l’expérience mentorale l’a changé : «Je suis moins agressif, plus empathique avec mon entourage, j’ai plus d’écoute. Et vous n’avez pas idée à quel point je suis fier des accomplissements de mes mentorés. Le sentiment de satisfaction est incommensurable. Surtout quand ils nous disent à quel point ils apprécient notre présence. Pour moi, la retraite, ce n’est pas le golf ou les croisières. C’est de partager les soucis de mes mentorés!»
Choyé par la vie
Robert Lefebvre a possédé plusieurs entreprises et vendu sa dernière il y a quelques années déjà. Il siège sur des conseils d’administration, dont celui d’Aéroports de Montréal. Il préside des comités de développement économique, s’implique dans la relève entrepreneuriale ou le démarrage d’entreprises à Laval. Mais l’ex-consultant en construction de centres informatiques et ex-propriétaire d’un centre d’affaires lavallois s’enflamme lorsqu’il parle de sa grande passion : le mentorat!
«J’ai été choyé dans la vie, dit-il. Ça a toujours bien été pour moi, même si j’ai vécu des hauts et de bas comme entrepreneur. J’ai connu du succès en affaires. J’ai beaucoup reçu de la société et c’est tout à fait normal de redonner.»
Pourquoi le statut de mentor le passionne si profondément? L’ex-entrepreneur répond que l’entrepreneuriat est un métier de création, de réalisation de ses rêves, un moyen de se donner une certaine liberté dans ses choix de vie. Être entrepreneur, c’est être capitaine de son propre bateau.
«Avec le mentorat, je côtoie des entrepreneurs qui partagent cette belle énergie, cette passion qui mène leur vie, dit-il. J’ai 65 ans. Je me considère à jour vis-à-vis des réalités sociales ou du monde des affaires. Pourtant, de voir ces jeunes qui commencent, qui défoncent des murs, qui créent, ça m’interpelle.»
Côtoyer des jeunes
Être mentor, c’est être constamment en contact avec des jeunes qui sont à l’étape de démarrage ou d’expansion, ajoute-t-il. Il a le sentiment de faire une différence en leur donnant un coup de main. Mais cet appui se joue davantage sur le plan personnel.
«On est dans le savoir-être, pas le savoir-faire, dit-il. Comme la relation mentorale se joue à un niveau personnel, on aborde toutes sortes de sujets avec lesquels les mentorés doivent se dépatouiller. C’est très stimulant de retrouver cette énergie que j’avais autrefois.»
Mais au-delà de la relation elle-même, Robert Lefebvre apprécie son rôle qui prend tout son sens par une approche avant tout objective, d’écoute, qui a fait ses preuves. «Ça permet à mes mentorés de se recentrer sur les vraies affaires, dit-il. Quand ils me disent merci, que ça fait toute une différence dans leur vie, pour moi, c’est du bonbon!»
M. Lefebvre a toujours eu la conviction que la seule façon de créer de richesse passe par l’entrepreneuriat. «Quand on aide les entrepreneurs, on crée aussi de la richesse. Et cette richesse nous permet de collectivement payer pour notre filet social. Toute la société en bénéficie. C’est aussi pour cela que je retire énormément de satisfaction personnelle de mon expérience comme mentor.»
Un article signé Stéphane Desjardins.