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La résilience, cette fabuleuse capacité à rebondir de l'entrepreneur

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Fougueux, enthousiastes, portés par le désir de changer les choses, parfois même de révolutionner le monde, les entrepreneurs reçoivent plus d’un coup dur tout au long de leur parcours professionnel. Malgré tout, les épreuves et le découragement ne minent pas leur optimisme. Où puisent-ils la force de poursuivre leur route ? Quel est le secret de cette aptitude à affronter l’adversité ? Portrait de la résilience entrepreneuriale.

À l’automne 2018, Robert Dutton publiait Mise à niveau, une biographie dans laquelle il raconte son histoire, la mission qui le porte et, surtout, sa version des faits quant à son départ abrupt de RONA, l’entreprise à laquelle il s’est donné corps et âme 35 ans durant. Une manière, peut-être, de passer à autre chose et d’accepter cette sortie qu’il n’avait pas désirée.

À la même période, après un bref passage en politique, Alexandre Taillefer, entrepreneur-vedette qui a appris à utiliser la vitalité médiatique, prenait le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. L’homme d’affaires derrière Téo Taxi ressentait le besoin d’avoir un peu de recul. Amateur de randonnée, Alexandre Taillefer aime non seulement marcher mais surtout avoir une destination claire.

Interviewés par Gestion, les deux hommes ont accepté de revenir sur leurs expériences personnelles et professionnelles, celles qui ont nourri cette inestimable capacité à aller de l’avant. Sur les traces de ces entrepreneurs reconnus, des similitudes émergent, laissant apparaître certains traits de caractère propres aux grands leaders, notamment cette volonté de contribuer à la création d’un monde meilleur.

De son côté, Manaf Bouchentouf, directeur exécutif et de l’accompagnement entrepreneurial au sein du Pôle entrepreneuriat, repreneuriat et familles en affaires de HEC Montréal, a bien voulu partager ses observations, cumulées sur le terrain en compagnie de la relève qu’il accompagne. Ses propos éclairent grandement ce qui se cache derrière cette aptitude à rebondir, essentielle à tous les bâtisseurs.

 

L’incarnation du changement

Le grand public a connu Alexandre Taillefer lors de sa participation à l’émission Dans l’œil du dragon. Outre le plaisir de rencontrer de jeunes entrepreneurs, l’homme d’affaires a rapidement appris à utiliser cette notoriété, s’en servant notamment pour faire avancer le débat public sur certaines préoccupations sociales.

En effet, cet idéaliste aux valeurs bien définies n’a de cesse d’œuvrer à l’amélioration d’une société qu’il aimerait plus juste et plus respectueuse de l’environnement. «On a souvent dit que je suis de gauche ; je crois plutôt que notre système capitaliste a besoin de remettre en perspective la sauvegarde du bien commun pour s’assurer qu’il perdure. Malheureusement, on ne va pas du tout dans la bonne direction. L’accumulation de la richesse par une centaine de personnes sur la planète m’inquiète énormément.»  Cette décision de prendre part à la vie publique et à la transformation de sa communauté, Alexandre Taillefer confie y trouver un sens concret : c’est une démarche qui le nourrit et qui le construit.

Pour Manaf Bouchentouf, cet exemple témoigne du fait qu’un entrepreneur est avant tout un acteur de changement : il a une vision qui s’inscrit souvent hors des sentiers battus et qui le mène à réinventer son univers au moyen de son entreprise. On peut certainement y reconnaître les fondements de Téo Taxi.

«Les entrepreneurs apportent aux modèles d’affaires des changements qui ont des répercussions sur la société dans son ensemble. Par exemple, en créant de l’emploi, ils ont une portée dans leur région ; en minimisant les effets collatéraux de leurs usines, ils ont une incidence positive sur l’environnement. Et puisque notre monde est en perpétuelle évolution, ils demeurent des idéalistes en continu», explique Manaf Bouchentouf, ajoutant que l’entrepreneur est porté par un but, par une inspiration et par une raison qui le motivent 24 heures sur 24.

À sa manière, Robert Dutton abonde dans ce sens : «À 42 ans, j’ai eu besoin de prendre du recul pendant quelques mois pour réfléchir à mes objectifs, à ce qui était important. Quand je suis revenu, ma mission était claire : contribuer à bâtir, avec d’autres, une société plus juste, plus responsable et plus respectueuse de la dignité humaine. Bon, je ne me lève pas le matin en me disant : allez, ce matin, je commence par tel geste pour construire une société plus juste ! Mais c’est une sorte de mantra. Et toutes ces petites choses doivent faire une différence.»

Plusieurs années plus tard, ce leitmotiv inspire toujours l’ex-PDG de RONA, qui l’incarne en s’impliquant au moyen de l’enseignement en tant que professeur associé à HEC Montréal. En partageant sa riche expérience du secteur de la vente au détail, il module son microcosme au quotidien. Grâce à des rencontres dans lesquelles il s’investit avec générosité, il joue un rôle significatif auprès des jeunes qu’il aimerait inspirer.

«J’étais convaincu qu’après RONA, la passion de ma vie, je ne pourrais plus ressentir une telle ferveur pour un travail. C’est formidable, je l’ai trouvée une seconde fois ! Et je crois que la résilience vient de la mission qu’on a dans la vie.»

 

Les lunettes roses de l’entrepreneur

Chaque jour, Robert Dutton se laisse surprendre. Visiblement, les épreuves n’ont pas assombri le regard heureux qu’il porte sur la vie. Son secret ? Cultiver la confiance en côtoyant les jeunes, qui lui donnent espoir grâce à leur enthousiasme et à leur volonté de forger un avenir qui réponde à leur vision du monde. «L’an dernier, j’ai reçu 25 dossiers de jeunes entrepreneurs : 24 d’entre eux comportaient une dimension de développement durable et d’implication sociale. Ce sont les créateurs de richesse et les créateurs d’emplois de demain, et ils sont très sensibles aux enjeux sociaux. Ils ont une ligne de conduite.» L’homme est visiblement touché par des préoccupations qui correspondent aux siennes.

Lui-même se rappelle l’instauration du programme de développement durable chez RONA, les décisions difficiles à prendre et les résistances, par exemple, envers sa détermination à ne vendre que du bois certifié FSC, la norme la plus élevée au Canada. Mais le grand patron n’a jamais baissé les bras et, lorsqu’il véhiculait ces valeurs par des gestes concrets, les employés pouvaient à leur tour trouver un sens à leur travail.

«Ils savaient que s’ils avaient un projet, l’entreprise allait les soutenir dans leur engagement à poser un geste pour changer le monde», explique Robert Dutton, soulignant la puissance de «la mobilisation avec le cœur».

Pourtant, on l’a souvent qualifié d’humaniste : «Ce n’était pas un compliment! On voulait me dire que j’étais mou… Moi, je suis très fier d’avoir démontré qu’une entreprise peut être humaine et rentable.»

Robert Dutton n’a jamais pu renier ses valeurs fortes. Aujourd’hui, devant la relève entrepreneuriale, il se sent inspiré. Il se fait aussi un devoir de demeurer enthousiaste et de rappeler aux jeunes entrepreneurs que si un projet ne fonctionne pas, il y en aura un autre qui marchera.

C’est d’ailleurs cet optimisme caractéristique qui permet au porteur d’un projet de demeurer confiant, selon le directeur du Pôle entrepreneuriat, repreneuriat et familles en affaires de HEC Montréal. Cette personne voit loin et croit, par apprentissage ou par inspiration, qu’il faut continuer de tenter sa chance, quitte à essuyer 99 revers avant de franchir une étape enfin concluante. La centième tentative pourrait être la bonne! «Le fait de savoir qu’il faut essayer de nombreuses fois avant d’arriver à un résultat positif est rassurant. Les échecs – et quelques succès, évidemment – construisent la résilience.» Manaf Bouchentouf ne manque jamais de le rappeler aux entrepreneurs découragés qui viennent le voir : «Je dédramatise en parlant de ma propre expérience dans le milieu biomédical : combien de fois me suis-je fait dire non à une demande de subvention?» S’exclame-t-il.

En résumé, l’entrepreneur perd ses lunettes roses lors des premières décisions difficiles. Toutefois, à l’évidence, elles demeurent teintées d’optimisme…

 

La force de l’échec

Manaf Bouchentouf associe une notion fondamentale à la résilience entrepreneuriale : l’adaptabilité. «On peut avoir la résistance, pendant un temps plus ou moins long, de recevoir des coups sans fléchir. Mais on peut aussi éviter les coups en se transformant.» Un entrepreneur efficace apprend de ses erreurs, évolue, utilise les épreuves qui l’ébranlent pour se propulser vers l’avant.

Ainsi en est-il d’Alexandre Taillefer. L’homme d’affaires parle tout d’abord d’une grande part de naïveté chez l’entrepreneur, «une naïveté portée par la croyance de pouvoir passer au travers, quoi qu’il arrive». À la fin de la quarantaine, il est conscient et reconnaît que la lucidité et l’expérience ont probablement éclipsé une part de sa candeur, alors qu’à maintes reprises, il a traversé l’adversité.

Mais il continue d’alimenter sa capacité de résilience. Avec humour, il cite en anglais une phrase attribuée notamment à Winston Churchill : «Si vous traversez l’enfer, continuez.» Pour sa part, l’enfer, il l’a traversé lors du suicide de son fils et en est ressorti avec Bye, un documentaire sur la cyberdépendance et sur le suicide, manière de construire avec le matériau brut de la souffrance, qui a suscité une forte réaction auprès du public.

À chaque revers du destin, dans sa vie personnelle et professionnelle, Alexandre Taillefer s’est réinventé en utilisant les difficultés pour rebondir. Quand, à 29 ans, il a vu la valeur des actions de Nurun, la société qu’il avait fondée quelques années plus tôt, dégringoler de 89 $ à 89 ¢, il a connu un moment de profonde détresse. «Je venais de me marier, notre premier enfant arrivait. Je devais réagir. J’aurais pu, à ce moment-là, décrocher un bon emploi : il y avait beaucoup de possibilités dans le secteur et mon expérience avec Nurun me donnait de la crédibilité. Mais je me connaissais assez bien pour savoir que ce n’était pas la solution. J’avais investi beaucoup d’argent dans cette compagnie et j’étais confiant d’être en mesure de livrer la marchandise. Et c’est ce qui est arrivé.»

Cependant, l’issue n’est pas toujours glorieuse. Après un engagement politique plus ou moins heureux en 2018 et la décision de mettre la clé sous le paillasson de Téo Taxi au printemps 2019, l’homme d’affaires regrette certains choix. «J’ai mis en œuvre un projet entrepreneurial sans jouer le rôle d’entrepreneur. Les circonstances ont compliqué les choses, notamment le décès de mon fils une semaine après le lancement du projet Téo. Nous avons négligé l’expérience des cheveux gris au profit de professionnels des “dot.com”. Nous avons aussi anticipé une évolution de l’industrie automobile qui a tardé, en plus d’être freinés par le cadre réglementaire. Malgré tout, je persiste à croire que le modèle que nous avons mis en avant est appelé à s’imposer. Ce sera gagnant.»

Convaincu qu’il vaut mieux avoir des regrets que des remords, l’entrepreneur assume, déterminé à ne pas laisser s’éteindre son désir de transformer la société. «J’ai pris la décision de continuer à jouer un rôle actif.» La résilience est une aptitude qui se construit, confirme Manaf Bouchentouf.

Au fur et à mesure que l’entrepreneur évolue et affronte des défis, il apprend à mettre sa résilience à profit. «Quand on apprend une mauvaise nouvelle, qu’est-ce qu’on décide d’en faire ? Combien de temps met-on à passer à autre chose ? Moins on a d’expérience, plus ça risque d’être long», explique-t-il. Grâce à ce cheminement parsemé d’obstacles, l’entre- preneur peut donc développer ses réflexes, sa capacité à réagir et son adaptabilité.

 

Une relève branchée

Outre l’expérience, la résilience se nourrit de la force de la communauté. Heureusement, il semble que les entrepreneurs d’ici profitent d’un écosystème bien établi. Structures universitaires, programmes divers, mentorat : il existe de nombreuses façons pour les entrepreneurs d’obtenir des conseils, de l’encadrement, du soutien.

C’est une des clés du succès, comme le souligne Manaf Bouchentouf : «Ceux qui sont accompagnés ne lâchent presque jamais. Parmi les entrepreneurs qui sont passés par nos programmes, neuf sur dix sont encore actifs, parce qu’il y a un accompagnement. Ça fait toute la différence : parler des problèmes à surmonter, dédramatiser, évaluer des pistes de solution, tout ça permet de reprendre le contrôle.»

En outre, ajoute Manaf Bouchentouf, la technologie a profondément changé la donne pour la communauté d’affaires : dans un univers hyperconnecté où évolue naturellement la relève, les entrepreneurs ont désormais accès à une information très dense, y compris la possibilité d’établir un réseau diversifié où on peut faire part de ses expériences. «Les jeunes ne craignent plus de raconter leurs difficultés, comme à une autre époque.»

En effet, Robert Dutton confie que la génération d’entrepreneurs dont il fait partie avait tendance à taire ses problèmes. Il a souffert de cet isolement attribuable à une fâcheuse inclination à ne pas laisser voir ses faiblesses. Alexandre Taillefer croit lui aussi à cette solidarité tissée dans la fibre même de la communauté.

«Faire partie de la cité est un élément du bonheur. Probablement à cause de Bye, beaucoup d’entrepreneurs viennent me voir pour me parler de leurs difficultés. La communauté, c’est être plus grand ensemble que seul.»

L’ex-«dragon» parle aussi d’implication sociale : «Je suis très sévère envers toute une génération d’entrepreneurs qui ont construit leur empire et qui n’ont pas joué le rôle de mentor. C’est très important de s’impliquer, d’avoir la générosité de donner de son temps.» Il semble qu’il n’ait pas à s’inquiéter, pourtant. Selon Manaf Bouchentouf, plusieurs entrepreneurs d’expérience, femmes d’affaires et groupes de mentorat offrent un soutien inestimable à la communauté entrepreneuriale.

Forts de leur expérience et de leur parcours, ils deviennent à leur tour des sources d’inspiration, alimentant du même coup la résilience de ceux qui croisent leur chemin. Robert Dutton en sait quelque chose : «Après une conférence en Beauce, un entrepreneur est venu me parler : “Je ne devrais pas vous dire ça, mais je le pense sincèrement : je suis vraiment heureux qu’on vous ait mis à la porte de RONA ! Parce que, sinon, je ne vous aurais pas rencontré !”»

Lire le Dossier Entrepreneuriat - Une affaire de passion sur le site de la Revue Gestion.

 

Article écrit par Claudine Auger, publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion. 

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