Quel modèle choisirez-vous pour rendre votre organisation agile?
Une gracieuseté de
En réaction à une crise, plusieurs organisations veulent devenir agiles. Pour y arriver, elles peuvent suivre deux modèles. Mais, attention! Aucun n’est facile, d’après l’expert en innovation Alessandro Di Fiore, qui considère néanmoins le changement essentiel.
L’agilité organisationnelle est rare chez les entreprises moyennes et grandes, d’après Alessandro Di Fiore, fondateur et chef de la direction de la firme de consultation European Center for Strategic Innovation (ECSI), joint par vidéoconférence à Boston. Près de 90 % des organisations qui se disent agiles s’en tiennent en fait à gérer des projets de façon agile. « C’est ce que nous dit la recherche, précise M. Di Fiore. La gestion de projet agile est une façon de travailler en équipe, par cycles, qui vient de l’industrie du logiciel. C’est en fait le premier niveau d’agilité qui ne nécessite pas de changer autre chose dans l’organisation et qui permet d’améliorer la performance. »
Si la grande majorité des entreprises s’arrêtent à cette étape du processus, un peu plus de 10 % décident de vraiment devenir agiles. Cela implique de réels changements dans l’organisation, que ce soit au niveau de sa structure, de son leadership, de l’organisation du travail et de ses processus clés. Le frein, c’est souvent le leadership, constate M. Di Fiore. « Les chefs de la direction veulent prendre des décisions et sont habitués d’avoir des gens qui se rapportent à eux, explique-t-il. Avec une organisation agile, l’autonomie des employés est importante. Les leaders doivent leur faire confiance. Le style de leadership est différent et ils deviennent comme des coachs. Pour plusieurs d’entre eux, c’est une position inconfortable. »
L’expert, qui partage normalement son temps entre les États-Unis et l’Italie, remarque d’ailleurs qu’il n’est pas essentiel d’avoir atteint un certain niveau de maturité pour être une entreprise agile. « C’est en fait beaucoup plus facile de commencer agile que de se transformer lorsqu’on est une grande entreprise avec des milliers d’employés qu’on a l’habitude de contrôler, souligne Alessandro Di Fiore. On voit d’ailleurs plusieurs jeunes entreprises technologiques qui ont commencé agiles, très orientées sur leurs clients pour s’ajuster continuellement, comme Spotify. »
Devenir agile la pédale à fond
Lorsque la haute direction d’une entreprise décide de prendre le virage agile, elle doit savoir que la transformation prendra du temps. Et ce, même si elle décide de prendre le modèle plus rapide des grandes banques. « Il s’agit d’élaborer la nouvelle organisation et les nouveaux processus clés, puis de penser à comment les gens vont acquérir leurs nouvelles compétences, et ensuite, on fait le changement d’un coup, mentionne Alessandro Di Fiore. C’est ce qu’a fait le Groupe ING. »
Le grand avantage, c’est que la transformation agile se fait sans attendre, donc les bénéfices arrivent aussi plus rapidement. « Par contre, l’organisation doit traverser un six à douze mois remplis de difficultés, souligne le consultant. Il y aura énormément de changements dans le management, parce que plusieurs personnes réaliseront qu’elles n’aiment pas cette nouvelle façon de travailler. Il y aura aussi beaucoup de confusion. »
4 bénéfices de l’agilité, d’après Alessandro Di Fiore
- Augmenter de 20 à 50% la vitesse avec laquelle on peut développer un produit.
- Créer des produits environ 50% mieux adaptés aux besoins des clients.
- Obtenir une productivité de trois à cinq fois plus grande (ces chiffres proviennent de l’industrie des technologies).
- Augmenter l’engagement des employés de 40 à 60%.
L’élément essentiel pour réussir une telle transformation : avoir un leader fort qui croit vraiment à l’importance de ce changement et qui aura le mandat de le réaliser. « Sinon, l’organisation tombera dans la confusion et la frustration et n’arrivera pas à compléter le changement », indique M. Di Fiore, en précisant que très peu d’entreprises ont choisi cette voie particulièrement audacieuse.
Devenir agile étape par étape
L’autre modèle, choisi par davantage d’entreprises comme Bosch et Roche, est celui par étape. L’idée est de commencer à rendre certaines équipes agiles, puis d’autres. C’est ensuite toute une unité qui devient agile, puis une autre. « C’est une feuille de route qu’on suit et, étape par étape, l’organisation apprend à travailler différemment, explique Alessandro Di Fiore. Il y a moins de conflits, parce qu’on donne le temps aux gens de réaliser le changement. Par contre, beaucoup plus de temps est nécessaire pour arriver au résultat. Bosch y travaille depuis quatre ou cinq ans et continue ses efforts. »
Pendant cette transformation étape par étape, il faut aussi s’assurer de changer les processus pour que les équipes puissent réellement devenir agiles. Par exemple, le processus budgétaire doit être revu pour donner de la flexibilité aux équipes. « Avec la méthode agile, elles peuvent avoir besoin de changer de priorité et elles doivent avoir une marge de manœuvre par rapport à leur budget pour pouvoir avancer rapidement, soutient M. Di Fiore. Si le processus est trop bureaucratique, l’équipe sera ralentie. »
Devenir agile, une question de leadership
Si l’expert évalue qu’aucune méthode n’est meilleure que l’autre, il insiste sur le fait que le changement demeure difficile, peu importe le choix. « Plusieurs leaders qui travaillent sur la transformation agile finissent par perdre confiance dans l’approche, précise-t-il. La pertinence des postes de cadres intermédiaires est remise en question, puis la performance des équipes chute pendant un certain temps, parce qu’elles doivent s’ajuster. Plusieurs se découragent et décident de faire marche arrière. »
Pourtant, Alessandro Di Fiore est convaincu que les organisations doivent devenir agiles pour être en mesure de s’ajuster à leur environnement extérieur. « Je ne vois pas d’autre solution pour les entreprises, affirme-t-il. Et la clé pour réussir cette transformation, c’est le courage des leaders. Ils doivent avoir le courage de faire ce changement s’ils veulent que leur organisation survive à long terme. »
Martine Letarte, Journaliste indépendante
Revue Gestion