Le risque, cette occasion en or
Une gracieuseté de
Par Géraldine Martin.
Petite anecdote. Au début de l’année, j’ai assisté à un groupe de discussion où j’ai entendu une dirigeante du Cirque du Soleil raconter les débuts de cette célèbre entreprise de divertissement. L’histoire se déroule dans les années 1980.
Le Cirque avait obtenu un contrat pour monter un spectacle à Los Angeles. En fait, il s’agissait du tout premier contrat obtenu par l’entreprise montréalaise aux États-Unis. Derrière l’excitation, il y avait toutefois une grande incertitude : le Cirque avait tout juste assez d’argent pour financer le voyage de ses employés de Montréal vers la côte Ouest américaine mais pas la moindre liquidité... pour rapatrier la troupe à Montréal !
Autrement dit, il fallait que le spectacle connaisse un succès immédiat. L’histoire devait donner raison au Cirque et à son fondateur, Guy Laliberté, qui a fait preuve d’audace en acceptant de produire ce premier spectacle aux États-Unis dans de telles conditions.
La prise de risque est indissociable de la réalité quotidienne de l’entrepreneur, qu’il soit en train de lancer son entreprise ou de la faire grandir. « Un entrepreneur est quelqu’un qui se jette d’une falaise et qui construit un avion en tombant1 », résume bien dans une célèbre citation l’Américain Reid Hoffman, un des fondateurs du réseau social LinkedIn.
L’entrepreneur entretient une relation assez ambivalente avec la notion de risque. En effet, le risque peut le faire terriblement souffrir : l’incertitude après une décision peut se transformer en torture psychologique et en grande déception à la suite d’un échec. Mais si le succès est au rendez-vous, la prise de risque est alors perçue comme étant brillante et courageuse.
Dans tous les cas, la peur qui peut être associée à la prise de risque est très saine, selon Pierre Duhamel, directeur général de la Fondation de l’entrepreneurship.
« Un entrepreneur qui n’a pas peur devient complaisant », affirme-t-il. Si le chef d’entreprise ne craint rien, il ne se sent plus mis au défi et ne cherchera pas à se dépasser afin de trouver le meilleur produit ou le meilleur service pour ses clients. Toutefois, la propension de l’entrepreneur à prendre des risques dépend largement de sa personnalité.
« C’est un mot [l’échec] qui n’est pas dans mon vocabulaire, car je crois profondément que si tu permets à ce mot de prendre le contrôle de ton cœur, de ta tête, de ton corps, de ton âme, alors tu es condamné à échouer », a expliqué Guy Laliberté à la conférence d’affaires C2 Montréal le 22 mai dernier.
Évaluer le danger est une autre histoire, a toutefois affirmé le dirigeant : « Analyser le risque avant de prendre une décision est important. » Une évidence. Guy Laliberté a ajouté cette nuance : « N’attendez pas trop longtemps avant de décider, car la prise de décision doit toujours s’exercer dans un temps limité. [...] Si vous prenez une décision rapidement, qu’elle soit bonne ou pas, vous avez toujours le temps de corriger une erreur. Mais si vous tardez trop, vous n’avez plus de temps de réaction. »
Trop analyser peut s’avérer contreproductif : à force de trop réfléchir au risque, l’entrepreneur peut tout simplement rester figé et ne prendre aucune décision !
L’appétit des Canadiens pour le risque
Se mettre en danger, avoir le courage d’agir : cela doit donc faire partie de l’ADN de l’entrepreneur. « Un esprit brillant est une chose rare, mais le courage est plus exceptionnel encore que le génie », rappelle Peter Thiel, un des cofondateurs de PayPal, dans son livre intitulé De zéro à un – Comment construire le futur.
Or, les Canadiens – bien que l’activité entrepreneuriale au Canada soit dynamique – sont en général perçus comme étant particulièrement frileux par rapport au risque. C’est ce qu’a rapporté le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) dans un rapport2 publié au printemps 2019. Le GEM compare depuis 20 ans le dynamisme des écosystèmes entrepreneuriaux (49 pays sont analysés dans ce rapport).
Le Canada arrive au premier rang (dans sa catégorie) des pays les plus dynamiques au monde en matière d’entrepreneuriat3. Voilà une bonne nouvelle. Par contre, la proportion de Canadiens4 qui craignent l’échec est très élevée : notre pays occupe la deuxième position de ce triste palmarès après la Suède.
Malheureusement, le risque est encore trop souvent présenté comme un élément négatif lorsqu’on parle d’entrepreneuriat au Canada. Il faut dire que la simple définition du terme dans le dictionnaire ne nous aide pas. Le Larousse définit le risque notamment comme la « possibilité, [la] probabilité d’un fait, d’un événement considéré comme un mal ou un dommage ».
Or, le risque doit être considéré non seulement comme une menace mais également comme une possibilité. Il faut à la fois revoir la façon dont on définit le risque et changer la manière d’enseigner cette notion : c’est ce qui permettra à notre culture entrepreneuriale de se transformer et de favoriser davantage l’audace.
Notes
1 Hoffman, R. ; traduction libre.
2 Bosma, N., et Kelley, D., « Global Entrepreneurship Monitor – 2018/2019 Global Report », 2019, 152 pages.
3 D’après le GEM, la part d’adultes canadiens qui sont en train de mettre sur pied une entreprise ou qui en exploitent une depuis moins de 42 mois s’élève à 18,7 %.
4 Parmi ceux qui se lancent en affaires ou qui sont à la tête d’une entreprise depuis moins de 42 mois (GEM).